Arrêtés puis mis en examen, les dix-huit garçons dont elle a pu donner les noms ont nié ou minimisé. Si Nina enchaînait les rapports sexuels avec une quinzaine de types, c'était «par plaisir», «parce que c'était une pute». «Tout le monde savait» que Stéphanie et Nina participaient à des «tournantes», ont précisé la plupart. Elles étaient «consentantes»: «La fille, si elle est là, c'est qu'elle est d'accord. » Après le procès, Nina voudrait reprendre une formation pour devenir maître-chien. «Des gros chiens, sourit-elle. Des bergers allemands, des rottweillers. » Elle a insisté pour que l'on publie sa photo avec l'article parce qu'elle veut dire «aux autres victimes» qu'il ne faut plus avoir peur. «Ce n'est pas à moi de me cacher, c'est à eux. » Parmi ses premières «victoires», il y a le fait de réussir à reprendre seule les transports en commun. Femme prise en tournantes. Et à soutenir le regard des accusés, lorsqu'elle les croise à Fontenay. Pour eux, elle a longtemps éprouvé de la haine. Le sentiment, dit-elle, a évolué.
J'Ai Été Témoin D'Une Tournante
Mais ça peut aussi se passer dans un terrain vague, dans les toilettes d'une école, dans le local à poubelles, dans un squat. «Des lieux toujours très romantiques», dit un magistrat d'Evry, où les filles sont prises au piège, non seulement des garçons, mais aussi de leurs propres sentiments. «La plupart du temps, les victimes des tournantes sont folles amoureuses de leur petit copain. Celui-là même qui va l'offrir à sa bande. » A ces filles-là, on n'accorde aucun égard, sauf peut-être l'usage de la capote. Et encore. Pas toujours. Des fois on bricole. «Comme les préservatifs coûtent cher, ils utilisent des sacs en plastique de chez Attac ou Carrefour», dit Sylvie Lotteau de Bobigny. Et puis il y a «l'après». La gamine retourne au collège, où tout le monde chuchote que c'est «une salope». J'ai été témoin d'une tournante. Les parents subissent des menaces. Déménagent parfois. Le procès ravive la douleur. Ça se passe soit devant des tribunaux pour enfants, soit en cour d'assises des mineurs, soit, quand les garçons sont majeurs, en cour d'assises.
Parce qu'elle a trop traîné. Parce que, d'une certaine façon, elle l'a bien cherché. «La mère a repris le cahier de textes, raconte la magistrate. Elle a barré la phrase et réécrit à côté: "J'ai été à moitié violée. "» Les caves. Cette honte, ajoutée à la peur des représailles, à la crainte de devoir fuir la cité (lire témoignage ci-dessous), pousse souvent les victimes à garder le silence. Celles qui déposent plainte sont rares. Un policier raconte: «On l'apprend souvent par quelqu'un d'autre. Il arrive que les filles ne viennent pas aux confrontations. On fait l'enquête presque malgré elles. » Mais quand une adolescente trouve le courage de parler, c'est parfois des mois d'abus qu'elle dévoile. Tout un passé de souffrance. De silence. Dans le langage policier, on les appelle les «ultraviolées». Comme si, une fois abusée, la fille devenait une «cochonne» sur laquelle tout est permis. «C'est un cercle vicieux, on viole ces filles et après, pour les garçons du coin, elles sont des putes, des filles à caves», explique un juge de Bobigny.