La Cerisaie de la compagnie Tg STAN est un grand arbre magnifique, tout de fleurs cabossées et de bourgeons rouillés: une plongée exacte dans l'univers de Tchekhov. La grande propriétaire terrienne Lioubov Andreïevna Ranevskaïa revient de Paris, elle éreintée, elle a un sportswear bleu roi sur le dos, des petits tennis blancs et des borborygmes qui lui arrivent par spasmes. Elle s'agite de l'un à l'autre en (fausse) étourdie de l'instant et l'un est l'autre passe d'elle à lui-même, dans une langueur qui a l'air d'avoir quelques siècles. Joyeuse ribambelle enrobée d'inertie laissant flotter dans l'air cette question, comme un parfum de rigueur: qu'en sera-t-il demain du sol qui est sous nos pieds, la Cerisaie sera-t-elle vendue? Avec cette adaptation contemporaine d'une pièce pas si ancienne, le Tg STAN réussit un morceau de bravoure: faire du neuf sans faire du nouveau, revigorer ce qui aurait eu sans eux de légers airs de vieille tante sans toucher au reste. Leur customisation des années 2000, sous des airs légers, a une densité rare.
La Cerisaie Tg Stan De La
« LA CERISAIE », UN TG STAN SANS GRAND RELIEF
tg STAN La Cerisaie / TnBA, Bordeaux / du 12 au 21 novembre 2015. Tchekhov « atone » … un tg STAN sans grand relief
Autant le dire d'emblée: nous aimons beaucoup les propositions de ce collectif néerlandais, créé à la fin des années 80 et dont le seul nom, tg STAN – acronyme de Stop Thinking About Names – est porteur d'une énigme créatrice de sens. Le parti pris résolu qu'est le leur de détruire l'illusion théâtrale par une approche constructive et collective (le travail à la table des textes) qui fait (justement) table rase des présupposés académiques est jubilatoire, comme l'est leur conception du personnage qui laisse toute sa place (et réciproquement) à la personne du comédien s'adressant très directement au public. Mais après leur fort convaincant Scènes de la vie conjugale présenté en février dernier sur cette même scène du TnBA (cependant cette fois-ci dans la très grande salle Vitez, moins en accord avec la proximité souhaitée avec « leur » public que ne l'était la salle Vauthier), cette Cerisaie, sur laquelle ils ont comme à l'accoutumée beaucoup réfléchi et travaillé, nous a laissés sur le rivage, voire au bord de l'ennui… Il faut dire que les fulgurances, les saillies, auxquelles ils nous ont habitués – leur marque de fabrique – sont ici quasiment absentes.
La Cerisaie Tg Stan Wawrinka
Le collectif belge tg STAN propose à la Colline une Cerisaie drôle et rassurante, mais peut-être plus inégale que leurs précédentes créations (le décousu et jubilatoire Onomatopée entre autres). La qualité et l'humilité auxquelles la joyeuse troupe nous a habitués est néanmoins au rendez-vous. C'est un amour profond du théâtre qui semble animer tg STAN; un amour si débordant qu'il s'épanche sur le public. Chaque acteur montre au spectateur à quel point il prend du plaisir sur scène, à quel point il s'amuse à jouer. Car c'est bien cela, la recette du succès: à chacun de ses spectacles, le collectif belge joue le jeu, et indique fièrement au public à quel point le théâtre – pas seulement la scène donc, mais aussi la salle, les coulisses – est une chose magique qui mériterait à elle seule une pièce. En cette fin d'année, c'est La Cerisaie d' Anton Tchekhov qui véhicule la folie de l'infatigable tornade belge. Dès le début de la pièce, le traditionnel quatrième mur disparaît sous la frontalité des répliques adressées au public, sans micros ni artifices.
La Cerisaie Tg Stan.Com
La raison instrumentale y menace l'inutile et la beauté, le langage peine à combler le vide quand il n'est pas lui-même vidé. Comme à leur habitude, les acteurs belges ne cherchent pas à reconstituer le décor historique de la pièce, mais nous en proposent une vision collective, longuement infusée, qui nous est chaque soir directement adressée. Quinze ans après avoir monté Platonov, ils s'entourent de cinq acteurs tout juste sortis d'écoles de théâtre, soulignant ainsi la vertigineuse bascule, entre deux époques, systèmes de valeurs et générations, qui opère dans La Cerisaie.
Écrit en 2014 - français
Dix acteurs, dont cinq jeunes fraîchement diplômés et cinq comédiens légèrement moins jeunes, diplômés depuis un peu plus longtemps, s'attableront donc pour partager avec le public la plus énigmatique des pièces de Tchekhov. À leur manière habituelle: pas par une mise en scène fixe, mais en épurant le jeu de tout artifice et en faisant apparaître leurs éventuelles divergences. Après Oncle Vania, Ivanov, Les Trois Soeurs, Point Blank (Platonov) et Une demande en mariage, c'est la sixième fois que les STAN invitent à leur table Anton Tchekhov – un des rares auteurs, disent-ils, qui puisse, par sa lucidité, nous aider à préserver notre équilibre mental individuel et collectif, ou à le retrouver.